Responsabilité du gardien du cheval à l’égard de la victime mordue par l’animal. Commentaire de l’arrêt de la Cour d’appel de REIMS du 13 novembre 2018
Publié le :
17/04/2019
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Les décisions à propos des dommages corporels causés par les chevaux ne faiblissent pas. Le cheval est à la fois victime et bourreau : animal fragile, comme en témoigne les nombreuses actions des propriétaires dont le cheval a subi un dommage, mais également animal dangereux, pour le cavalier qui peut chuter du cheval, mais aussi pour les victimes novices se trouvant à proximité du cheval, qui peuvent recevoir un coup de pied ou être mordues.
La Cour d'appel Reims 13 Novembre 2018 RG n°17/03280 se prononce justement dans ce cadre puisque la victime n’était pas cavalière. Alors qu’elle rendait visite à son amie, Madame M. s’est approchée de la jument de son amie qui se trouvait en liberté dans la cour. Or l’animal a fait preuve d’agressivité en faisant chuter la visiteuse puis en la mordant.
Condamnée en première instance, alors qu’elle n’avait pas constitué avocat, la propriétaire interjette appel de la décision, en invoquant un comportement fautif de la victime. La Cour confirme le jugement à la fois en ce qu’il a retenu le lien de causalité entre la blessure et le fait de l’animal et en considérant que ni la faute exonératoire, ni la faute partiellement exonératoire de la victime n’est démontrée.
Ces trois points seront successivement abordés.
Une responsabilité sans faute du gardien
La responsabilité du fait des animaux prévue à l’article 1243 du Code civil, ne nécessite pas la preuve d’une faute du gardien ; il est cependant nécessaire de caractériser le lien de causalité entre le fait du cheval et le dommage. En l’espèce, ce lien ne pouvait pas être contesté compte tenu du contact entre l’animal et la victime qui a été bousculée et qui a chutée à cause du cheval. Précisons que le lien de causalité peut également être retenu en l’absence de contact entre la chose, objet du dommage, et la victime, ce qui est particulièrement intéressant lorsque c’est le cheval qui est victime d’une chose qui l’effraye sans qu’il y ait un contact direct. Ainsi en a jugé la Cour d’appel de CAEN le 30 Mai 2017 RG n° 14/01559 à propos d’un hélicoptère qui a effrayé des chevaux, ou encore la Cour d’appel de VERSAILLES le 20 Septembre 2018 RG n°16/03619 à propos de juments ayant avortées à la suite d’un canon à semi ayant tonné toute la nuit. Tout récemment, la Cour de Cassation le 17 janvier 2019 a confirmé un arrêt de la Cour d’appel de LYON du 5 octobre 2017 ayant jugé du lien de causalité entre la chute d’une cavalière et la présence de deux gros chiens ayant effrayés le cheval en courant vers ce dernier.La faute de la victime exonératoire de responsabilité.
La Cour d’appel rappelle que la faute de la victime doit être imprévisible et irrésistible pour exonérer totalement le gardien. On remarque que la Cour d’appel ne vise pas la condition d’extériorité ; en cela, elle se rapproche de la définition de la force majeure qui figure dans l’avant-projet de loi sur la réforme de la responsabilité délictuelle et qui définit la force majeure comme un « évènement dont le défendeur ou la personne dont il doit répondre ne pouvait éviter la réalisation ou les conséquences par des mesures appropriées. »La propriétaire de l’animal estimait que la victime avait commis une grave faute, cause unique du dommage en s’approchant de la jument, comportement selon elle irrésistible et imprévisible, puisque sans demander l’autorisation, elle aurait été caresser l’animal qu’elle connaissait mal et qui était en train de s’alimenter. A l’inverse, la Cour considère que l’imprudence serait plutôt du côté de la propriétaire qui a laissé sa jument potentiellement agressive en liberté dans la cour de sa maison.
Cette décision s’inscrit-elle dans la jurisprudence habituelle en matière de faute exonératoire de responsabilité ? Il faut admettre que l’examen des décisions rendues sur la faute de la victime ne permet pas toujours de dégager une jurisprudence parfaitement cohérente. Il est exact comme l’a noté un précédent commentateur, que « C’est l’étude du comportement de la victime qui est passé au peigne fin » (Cf. Juridequi n°83 Commentaire CA CHAMBERY 12 MAI 2016). Il y aura donc un examen au cas par cas par les Juges du fond, souverains dans leur appréciation des faits, du comportement de la victime.
Ainsi, la Cour d’appel de LYON a jugé qu’une faute exonératoire de responsabilité du gardien avait été commise par une victime à qui on avait demandé de l’aide pour calmer les autres chevaux se trouvant dans un pré, excités par une distribution de nourriture. La victime avait reçu un coup de pied d’un des chevaux qui avait fait demi-tour, et percuté la victime avec son postérieur. La Cour a jugé « qu'en se positionnant de manière à recevoir une ruade dont en tant qu'habitué des chevaux il ne pouvait ignorer l'éventualité Monsieur C. a commis une faute de nature à exonérer Monsieur R. de la présomption de responsabilité qui pèse sur lui en tant que propriétaire du cheval ». (Cf. CA LYON 7 septembre 2010 CA Lyon n° 09/04678)
Cette décision est particulièrement sévère : il est pourtant reconnu que lorsque plusieurs chevaux se trouvent dans un pré, les risques sont démultipliés et qu’il est difficile d’échapper à un coup de pied d’autant que la victime avait répondu à une sollicitation d’un tiers. En sens inverse, dans des circonstances quelque peu similaires, à propos d’une victime ayant apporté de la nourriture à son cheval dans un pré, la Cour a jugé que, « même en cas d'interdiction affichée de nourrir les poneys se trouvant dans un paddock, le fait pour un propriétaire d'équidé de nourrir ponctuellement son animal, dans une enceinte ou se trouvent d'autres équidés, ne revêt pas les caractères d'imprévisibilité et d'irrésistibilité de la force majeure, et tout au plus seule une faute est susceptible d'être retenue à l'endroit de la victime.» La Cour jugera toutefois qu’aucune faute n’est établie avant de condamner le gardien. (Cf. CA PROVENCE 2 Juin 2016 n° 2016/250)
Outre le comportement de la victime, les magistrats tiennent également compte du comportement du gardien. Dans l’arrêt commenté, la Cour d’appel a relevé que c’est la propriétaire gardienne du cheval qui avait été imprudente comme indiqué ci-dessus. Dans le même sens, la Cour d’appel de POITIERS a infirmé la décision ayant considéré qu’une victime d’un coup pied d’un cheval tenu en longe dont elle s’était approchée, à la demande du propriétaire, avait commis une faute exonératoire de responsabilité, après avoir noté que : « ..la victime ne faisait que répondre à la sollicitation du propriétaire gardien de l'animal….non seulement ce comportement ne saurait, revêtir les caractères d'irrésistibilité et imprévisibilité pouvant exonérer le gardien de la présomption de responsabilité pesant sur lui, mais il ne saurait non plus justifier quelque partage de responsabilité que ce soit. Marie G. a nécessairement cru agir en toute sécurité en répondant à une demande émanant de celui-là même, cavalier aguerri, qui était aux commandes de l'exercice auquel l'animal était soumis. »
La même incohérence apparente se retrouve à propos de victimes mordues par un cheval se trouvant dans son box : une Cour d’appel a retenu que « La responsabilité de la propriétaire de la jument n'est pas engagée. …En effet, la victime, cavalière expérimentée, a présenté une pomme à la jument ne lui appartenant pas, alors que l'animal était parqué dans son box, à l'insu de sa propriétaire qui ne se trouvait pas sur les lieux » (Cf. CA Chambéry 12 Mai 2016 N° 15/01912).
En sens inverse, la Cour de cassation a retenu l’entière responsabilité du gardien du cheval ayant mordu une enfant de 3 ans ayant donné à manger à un poney malgré les panneaux d’interdiction (Cass. Civ.2ème 1er avril 1999 JCP99 II10218), de même pour une femme mordue au visage alors qu’elle passait devant un box (CA Douai 1er février 2007 JURIDEQUI N°46 cité par Juridequi n°83).
La sévérité des Juges du fond dans la décision de la Cour d’appel de CHAMBERY du 12 mai 2016 peut s’expliquer par l’obstination de la cavalière expérimentée à vouloir offrir une pomme à une jument manifestement « rétive à l’offrande » en agissant à l’insu de la propriétaire, ce qui avait caractérisé pour la Cour d’appel la condition d’imprévisibilité. (Cf. Juridequi n°83 précitée)
La faute de la victime exonératoire de responsabilité suppose que les faits soient établis. Ainsi, toujours en présence d’une morsure par un cheval, une Cour d’appel, après avoir noté que « Le 18 septembre 2011, Mme Marie-Pierre T. a été mordue au visage par un cheval appartenant à Mme Virginie L à son passage devant le box de l'écurie où l'animal se trouvait. », elle juge que « Les circonstances exactes des faits dommageables n’étant pas établie,…Du fait de cette incertitude touchant les circonstances des faits mais non leur imputabilité à un cheval appartenant à Mme L., la responsabilité de plein droit de cette dernière doit être retenue en application de l'article 1385 du code civil. » (Cf. CA METZ 9 mai 2017 n° 15/03521)
En présence de doutes sur les circonstances du dommage, si les faits sont jugés comme indéterminés par les Juges, le gardien qui a la charge de la preuve, échouera à démontrer la faute de la victime.
La faute de la victime exonérant partiellement le gardien de sa responsabilité.
C’est bien ce qu’avait tenté d’affirmer la propriétaire de l’animal, en évoquant « un comportement gravement fautif » de la victime. La Cour juge cependant qu’« il ne ressort pas de cette relation des faits que madame P ait commis une faute quelconque. »Les décisions jugeant d’un partage de responsabilité ne sont pas les plus fréquentes. On peut citer toutefois un arrêt ayant retenu que « la manœuvre périlleuse de la victime, qui a entrepris de faire demi-tour sans attendre le dégagement rapide du chemin et sans descendre de l'attelage en dépit des ornières, constitue un comportement fautif n'ayant pas un caractère imprévisible ou irrésistible mais justifiant un partage de responsabilité. » (CA ORLEANS 2 Avril 2007 N° 06/01698), mais aussi un intéressant arrêt de la Cour de cassation à propos d’un entraineur de chevaux victime d’une ruade qui n’avait pas été informé par la propriétaire que la jeune jument avait des réactions imprévisibles et dangereuses, notamment à la vue d’une cravache. La Cour casse toutefois l’arrêt de la Cour d’appel et retient sur l’ancien article 1382 et 1383 du Code civil que l’entraîneur professionnel avait commis une faute en tentant de faire monter dans une bétaillère la jument après l’avoir frappé d’un coup de cravache sur les jambes postérieures. (Cf. Cour cassation 2ème chambre civile, 11 juillet 2002 N° Pourvoi : 99-17.778)
On constate que l’appréciation d’une éventuelle faute de la victime tiendra compte :
- De ses compétences : s’agit-il d’un cavalier averti ou d’un novice de l’équitation ?
- Des conditions de son intervention : répond-elle à une sollicitation, ou à l’inverse, s’agit-il d’une initiative personnelle et imprévisible ?
- Du comportement du gardien du cheval et notamment d’une éventuelle imprudence de sa part.
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