Cavalier, victime d’un accident d’équitation, quelle responsabilité pour le Centre Equestre ou le Club sportif ?
Auteurs : Blanche de Granvilliers-Lipskind, Avocat
Publié le :
23/11/2022
23
novembre
nov.
11
2022
Source : www.village-justice.comLes victimes d’accidents sportifs sont nombreuses. Elles le sont particulièrement dans le monde de l’équitation, le cheval étant à la fois puissant, imprévisible et émotif. S’agissant des licenciés des Clubs sportifs, la responsabilité des établissements est loin d’être automatique. Bien que les juges retiennent désormais que l’organisateur d’une activité sportive ou de loisir est tenu d’une obligation de sécurité renforcée lorsque l’activité est dangereuse, les cavaliers victimes peinent à obtenir gain de cause.
Quelles sont les obligations du centre équestre, dans quelles conditions sa responsabilité peut être engagée, tels seront l’objet de notre étude via deux décisions rendues en 2022 : Cour d’appel de Riom, 3e chambre civile, 25 mai2022 (RG : 20/01755) et Cour d’appel de Grenoble, 2e chambre civile (RG : 20/015).
On se tue à dire que l’équitation est un sport dangereux et ce sans mauvais jeu de mots au regard des circonstances tragiques ayant entrainé le décès du cavalier dans un des arrêts commentés.
Lors d’un commentaire précédent à propos d’un accident survenu au cours d’une leçon d’équitation (Voir notre article Absence de responsabilité du Centre Equestre à l’égard d’une cavalière blessée au cours de la préparation du cheval), la question de la qualification de l’obligation du centre équestre, - obligation de moyen simple ou obligation de moyen renforcée-, avait déjà fait l’objet d’une étude, un léger doute étant permis s’agissant de la qualification exacte de cette obligation. La question se pose avec encore plus d’acuité à l’issue de ce commentaire comparé puisque les deux juridictions ont une position différente (I) et la réponse n’est pas neutre lorsque l’on mesure l’importance de la charge de la preuve dans la solution du litige. Quels sont les critères permettant aux juridictions de retenir la faute du centre équestre et comment une faute peut-elle être démontrée (II) ?
I- L’obligation de sécurité du centre équestre, obligation de moyen ou moyen renforcée ?
On rappelle que la leçon d’équitation au sein d’un centre équestre où le pratiquant est licencié se distingue de la simple promenade à cheval dans le cadre d’un séjour touristique.Dans ce dernier cas la victime qui peut être totalement inexpérimentée est protégée par l’article L211-16 du Code du tourisme avec une responsabilité de plein droit du tour operator ou de l’agence de voyage.
A l’inverse, concernant les pratiquants licenciés, la Cour de cassation a précisé à plusieurs reprises que
« le centre équestre, qui organise des promenades à cheval avec des élèves plus ou moins expérimentés, est tenu d’une obligation de sécurité qui n’est qu’une obligation de moyens et qu’il ne peut être déclaré responsable de la chute d’une élève que s’il a manqué à son obligation de prudence et de diligence » [1].
Lentement une évolution semble se produire au bénéfice des victimes, même si en l’espèce aucune des deux n’a obtenu gain de cause à l’encontre des centres équestres qui ont été mis en cause. Dans l’attente du projet de réforme de la responsabilité civile qui se fait attendre et qui devrait adopter des règles uniformes s’agissant du préjudice corporel, un frémissement se fait entendre dans les lignes des décisions rendues par les Juges [2].
La Cour d’appel de Riom pour sa part s’en tient à une argumentation classique en relevant que «
l’activité d’équitation est par nature une activité qui implique un rôle actif de la part des participants. M. D. était donc tenu d’une obligation de sécurité de moyen envers Mme Saint N., ainsi qu’elle l’indique elle-même » ce qui lui a été facilité par la circonstance que la victime elle-même ne contestait pas la qualification.
Avant l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Grenoble seules quelques juridictions isolées avaient admis que l’obligation du centre Equestre devait être qualifiée d’obligation de moyen renforcée [3].
En revanche à plusieurs reprises les Juges tiennent compte du caractère dangereux de l’équitation pour considérer que cette obligation de moyens du centre équestre doit être appréciée avec plus de rigueur [4].
Cette même Cour d’appel de Grenoble avait déjà eu une analyse juridique favorable aux victimes à propos d’une cavalière peu expérimentée en ayant jugé que « si un centre équestre est tenu à une obligation de sécurité de moyens envers ses clients, cette obligation est renforcée et proche de l’obligation de résultat envers une personne qui, comme Mme M, participait à une séance d’initiation à l’équitation » [5].
Toujours dans cette même ligne de jurisprudence favorable à la victime, on peut citer un arrêt récent du 17 janvier2022, où la Cour d’appel de Bordeaux retient que :
« En vertu de ce texte, un centre équestre est tenu d’une obligation de sécurité qui n’est qu’une obligation de moyens et il ne peut être déclaré responsable de la chute d’un élève que s’il a manqué à son obligation de prudence et de diligence. Cette obligation de moyens est cependant appréciée avec plus de rigueur lorsqu’il s’agit d’un sport dangereux ».
La Cour d’appel d’Aix en Provence, vient elle aussi de se joindre à ce mouvent en ayant retenu que : « Il est constant que l’organisateur d’une activité sportive ou de loisir est tenu d’une obligation de sécurité renforcée lorsque l’activité est dangereuse » [6].
La Cour d’appel de Grenoble va encore plus loin en infirmant la décision du Tribunal ayant jugé d’une obligation de moyen simple et en retenant que :
« Cependant, l’équitation est un sport dangereux, qui à ce titre permet de retenir à la charge du club équestre une obligation de moyens renforcée, même si cette obligation doit s’apprécier au regard du niveau du pratiquant, qui conserve un rôle actif. Il appartient donc au Domaine Equestre du Moulin de démontrer qu’il n’a commis aucune faute et donc que son moniteur M. A. n’a pas manqué à son obligation de prudence et de diligence ».
On ne saurait être plus clair. Les circonstances de l’accident et le décès de la victime sont-elles rentrées en ligne de compte, les Juges ont-ils été sensibles aux conséquences dramatiques de la chute ? Rien ne permet de l’affirmer. Si cette évolution se confirme elle sera sans conteste favorable aux victimes. Nous avions antérieurement souligné qu’il était quelque peu contradictoire de préciser que le centre équestre était tenu avec rigueur, alors qu’il n’en résultait aucune conséquence concrète pour la victime. Néanmoins même qualifiée d’obligation de moyen renforcée, la victime n’est pas assurée d’une indemnisation, ce qui ne peut qu’être approuvée, l’absence de faute du centre équestre militant pour que ce dernier échappe à une responsabilité.
II- Sur la preuve d’une faute et d’un lien de causalité.
Le contentieux est fourni et les deux arrêts commentés ainsi que d’autres confirment que les victimes n’ont pas toujours gain de cause à l’encontre du professionnel.Comment caractériser la faute du centre équestre ? On rappelle que cette preuve est facilitée lorsqu’elle repose sur des éléments objectifs : absence de qualification de l’accompagnateur, encadrement insuffisant, Matériel de protection inadapté ou insuffisant. Récemment la faute du centre équestre a également été caractérisée en tenant compte de la difficulté de l’exercice qui était proposé à une cavalière âgée dont c’était la première leçon [7].
Plus récemment, une Cour d’appel [8] a condamné un centre Equestre pour défaut de consignes : la Cour d’appel a jugé que sa responsabilité était entière à l’égard d’un cavalier titulaire du galop 7, pour ne pas avoir donné les consignes permettant au cavalier d’apprivoiser le jeune cheval [9].
En revanche, la cour d’appel de Paris le 7 octobre 2019 [10] a considéré qu’aucun défaut de surveillance ne pouvait être reproché au centre équestre lors de la préparation des poneys où une jeune cavalière s’est retrouvée victime d’une prise de longe, le poney ayant tiré au renard pendant sa préparation avant la leçon.
Or l’argumentation de la Cour d’appel de Paris permet justement la transition avec la décision rendue par la Cour d’appel de Riom que nous commentons : la Cour d’appel de Paris rappelle que « les dommages ayant pour seule origine la réaction par nature imprévisible de l’animal effrayé ne sont pas couverts par le régime de la responsabilité contractuelle du centre équestre, la pratique de l’équitation étant un sport dangereux ».
On retrouve parfaitement cette idée de l’aléa relative au caractère de l’animal dans la décision commentée : la Cour de Riom précise que :
« l’accident est survenu alors que le cheval a été effrayé par des enfants qui courraient aux abords du manège. Sont évoquées les consignes répétées à deux reprises par une monitrice de ne pas courir…..,cette pièce (la déclaration de sinistre) révélant au contraire des circonstances extérieures et non imputables à M. D.».
Outre l’aléa sous-jacent tenant aux réactions imprévisibles du cheval qui en l’espèce avait fait un écart ayant entraîné la chute, la Cour relève l’existence de ces consignes ; si elles n’ont pas été respectées cela n’est pas imputable au centre équestre qui ne peut ni maitriser le comportement des chevaux ni celui du public qui circule au sein des installations sportives. S’il y était fait droit, pourquoi pas demain rendre le centre équestre responsable des oiseaux qui volent ou du vent dans les branches qui effraient le cheval ! La Cour précise d’ailleurs que l’installation postérieurement de barrières et grillages ne permet pas de retenir une faute, les raisons de ces modifications dans les installations pouvant être diverses et intervenues 10 ans après les faits. La solution donnée par la Cour d’appel de Riom en l’état des éléments connus était prévisible et doit être entièrement approuvée.
S’agissant du rejet de la responsabilité du centre équestre par la Cour d’appel de Grenoble, la solution était moins évidente. Il s’agissait d’un cavalier expérimenté bien que sans diplôme et âgé au moins de plus de 50 ans au moment de son décès (son fils est né en 1984). Il connaissait le cheval qui appartenait à sa compagne et l’exercice qui consistait à sauter des obstacles n’était ni inconnu ni inadapté à son niveau.
Cependant, le cavalier avait déjà chuté deux fois avant une 3ème chute qui cette fois lui sera fatale ; s’il est exact qu’il avait commenté les deux premières chutes sur le ton de la plaisanterie, on peut s’interroger sur la réaction du moniteur qui à la suite de ces deux chutes au cours de la même leçon aurait pu, (voire aurait du ?) déconseiller au cavalier de renouveler l’exercice. Depuis quelques années, les jockeys d’obstacles qui tombent au cours d’une compétition n’ont plus le droit de remonter sur leur cheval pour terminer la course.
La Société des courses, France galop exige désormais que tout jockey ayant chuté soit vu par un médecin avant d’être autorisé à remonter. Certes il s’agit d’une course, où la chute intervient à grande allure, mais il démontre que le cavalier n’est pas toujours à même d’apprécier son état de santé après une chute. A fortiori, s’il chute à deux reprises, la prudence aurait-elle été de déconseiller au cavalier de sauter à nouveau des obstacles et de se contenter d’exercices sur le plat ? On ignore également quel genre de gilet était porté par le cavalier visiblement pas un air bag dont on sait qu’il protège particulièrement les cervicales.
Il faut évidemment se remettre dans le contexte de l’époque, en 2011, les gilets air bag étaient peu fréquents et encore moins lors des sessions d’entraînement. Toutefois là encore rien n’interdit au centre équestre à l’avenir d’attirer l’attention de ses cavaliers sur cette précaution, tout en se ménageant la preuve de ce qu’il a bien informé ses cavaliers de l’intérêt de ce gilet en même temps qu’il les informe de la possibilité de s’assurer par une garantie individuelle accident [11].
Pour citer un autre arrêt défavorable aux victimes, la Cour d’appel de Nîmes [12] vient de refuser l’indemnisation à des victimes après avoir cependant rappelé qu’il « s’agissait de clients qui peuvent tout ignorer de l’équitation et recherchent un divertissement sur un parcours imposé ».
Les victimes dont certaines n’avaient jamais monté à cheval et sont tombées après un emballement collectif que les deux préposés présents n’ont pas pu empêcher, ont échoués dans la preuve de la faute du professionnel.
Face à ces décisions difficiles à accepter pour les victimes et leurs ayant-droit, elles ont tout intérêt pour tenter d’obtenir gain de cause, à solliciter au préalable une expertise judiciaire afin de recueillir des éléments sur les circonstances de l’accident.
Ce n’est surement pas un hasard si dans la décision rendue par la Cour d’appel de Bordeaux du 17 janvier 2019, la victime avait obtenu la condamnation du centre équestre après une expertise judiciaire, outre des rapports de son expert conseil, tandis qu’à l’inverse la Cour d’appel de Riom pour débouter la victime retient qu’elle ne dispose que d’une seule pièce : la déclaration de sinistre du centre équestre et des photos non contradictoires.
La Cour d’appel de Provence dans l’arrêt précité [13] déboute la cavalière victime d’un coup de pied au cours d’une randonnée après avoir relevé que « M. [W] ne rapporte pas réellement la preuve des faits utiles au succès de ses prétentions, en ce que la matérialité des circonstances de l’accident n’est pas caractérisée ». Là encore l’absence d’élément produit par la victime joue en sa défaveur.
Dans l’affaire soumise à la Cour d’appel de Grenoble une expertise judiciaire avait été envisagée mais n’a pas prospérer pour des raisons non expliquées dans l’arrêt.
Pour obtenir réparation, la victime devra s’entourer d’un conseil ayant des connaissances à la fois juridiques et techniques laquelle l’aidera à construire son dossier pour lui permettre d’obtenir gain de cause via des procédures judiciaires ou bien via un accord prévoyant une indemnisation partielle. Un accord bien négocié permet d’éviter les aléas et les déconvenues d’une procédure qui ne sera pas systématiquement favorable à la victime.
Quant à la réforme attendue de la responsabilité civile qui devrait, pour les dommages corporels, substituer à la responsabilité contractuelle une responsabilité délictuelle, il n’est pas certain qu’elle améliore le sort des victimes puisque les cavaliers sont considérés comme ayant la garde du cheval ayant causé le dommage.
Il est probable que comme aujourd’hui la charge de la preuve de la faute du centre équestre reposera sur le cavalier. Ce dernier se voit proposé par le centre équestre de souscrire à une garantie individuelle accident laquelle permet une indemnisation minimale de son préjudice corporel.
Blanche de Granvilliers-Lipskind Avocat à la Cour, Docteur en droit, Membre de l'Institut du Droit Equin et de la commission droit de l'animal
[1] Cass.1ère civ.29 juin 1994, Cass. 1ère civ, 22 juin 2004, Cour d’appel de Paris 18 décembre 2015.
[2] Vous pouvez solliciter la communication d’une des décisions citées auprès de l’institut du droit Equin
https://www.institut-droit-equin.fr/
[3] Par exemple TGI de Millau 19 novembre 2008 n° de RG 07/00293 à propos d’une jeune victime.
[4] Cour d’appel de Paris 7 octobre 2019 Juridequi janv/mars 2020 ; Cour d’appel de Poitiers 24 juin 2016 qui a admis l’existence d’une faute du centre équestre, bien que tenu d’une obligation de sécurité de moyen devait « tout mettre en oeuvre pour empêcher qu’un accident ne se produise ».
[5] Cour d’appel de Grenoble, 20 janvier 2015, cité dans Juridequi n°105.
[6] Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 7 Juillet 2022, Chambre 1-6.
[7] Cour d’appel de Caen, 22 septembre 2015.
[8] Cour d’appel de Bordeaux, 17 janvier 2022, Juridequi n°105.
[9] « En omettant de donner à son élève de telles consignes, qu’appelaient le jeune âge de la bête et les caractéristiques de l’équitation du cavalier, et qui s’imposaient plus encore après une première chute, la société Semabele a manqué à son devoir de prudence, nonobstant l’expérience de cavalier de la victime ».
[10] Juridequi Janv-Mars 2020.
[11] Article L321-4 du Code du sport.
[12] Cour d’appel de Nîmes, 15 septembre 2022.
[13] Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 7 Juillet 2022, Chambre 1-6.
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