Le parieur peut-il faire condamner le jockey ?
Publié le :
11/09/2013
11
septembre
sept.
09
2013
Article paru dans PARIS TURF le samedi 7 septembre 2013
Le jockey fautif est-il responsable civilement à l’égard du parieur qui se voit privé de son gain ? C’est à cette délicate question que plusieurs juridictions ont eu l’occasion de répondre récemment. Rappelons le contexte de ces litiges. Il n’est pas rare qu’à l’issue d’une course, le jockey soit immédiatement sanctionné par les Commissaires présents sur l’hippodrome, faute d’avoir respecté les dispositions du Code des Courses.
Ainsi comme dans le cas soumis au Tribunal d’instance de Senlis puis à la Cour d’appel d’Amiens, le jockey qui oublie de se peser est automatiquement distancé de l’arrivée ou encore, comme dans l’affaire jugée par le Tribunal de Grande Instance de Bayonne puis la Cour d’appel de Pau, le jockey peut être sanctionné s’il cesse de solliciter son cheval, battu d’un nez pour la 3ème place.
Dans ces deux exemples, les parieurs mécontents ont estimé avoir été lésés et se sont prévalus de la sanction disciplinaire infligée par les Commissaires aux jockeys, pour attraire devant les juridictions civiles, les infortunés jockeys. Sur ce sujet, les parieurs pouvaient se prévaloir d’une jurisprudence, certes ancienne mais néanmoins célèbre (du fait de la personnalité de l’un des jockeys concerné), rendue par la Cour de cassation qui est la plus haute juridiction française. En effet par deux fois en 1972 et en 1973, la Cour de cassation avait déclaré les jockeys civilement responsables à l’égard des parieurs en jugeant que la faute commise par le jockey, sanctionnée par les Commissaires des courses, avait fait perdre au parieur une chance de gains. Les parieurs argumentaient que la faute commise par le jockey était de nature à modifier le résultat de la course. (Civ. 2, 4 mai 1972, Bull. Civ 2 n°130 p.107 ; Civ. 2, 25 janvier 1973 Bull. civ. 2 n°32 p.24)
Pourtant, en 2012 et 2013 la Cour d’Appel d’Amiens et la Cour d’Appel de PAU, ont considéré que les parieurs malchanceux étaient mal fondés dans leurs prétentions, qu’ils ne pouvaient faire condamner le jockey fautif à des dommages et intérêts, et ils ont été déboutés intégralement de leur demande. Comment peut-on expliquer ce revirement ?
Il faut rappeler désormais que les jockeys sont considérés au cours de la compétition comme des préposés, agissant sous la responsabilité et pour le compte des propriétaires. Les jockeys bénéficient d’un principe d’irresponsabilité civile. C’est un arrêt très important de le Cour de cassation (Assemblée Plénière 25/02/2000 arrêt n°97-17.387) qui a posé ce principe d’immunité du préposé : si ce dernier cause un dommage à l’occasion d’une compétition (qu’il s’agisse d’un dommage causé à un autre jockey, ou bien à un cheval, ou encore à un spectateur) seul le propriétaire du cheval sera éventuellement responsable à l’égard de la victime. Le jockey n’est responsable personnellement que s’il commet une faute intentionnelle, c’est à dire une faute d’une exceptionnelle gravité résultant d’un comportement impardonnable au regard des fonctions qui lui sont confiées. C’est sur base que le Tribunal de Grande Instance de Bayonne avait, le 9 mai 2011 donné raison au parieur, en jugeant qu’en cessant de solliciter son cheval aux abords du poteau, le jockey avait commis une faute volontaire, qui plaçait le jockey hors des limites de sa mission.
En appel toutefois, cette décision était réformée, à juste titre, nous semble t’il. En effet, la Cour d’appel de Pau jugea le 18 janvier 2013 que le fait de ne pas solliciter sa monture ne constituait pas une faute volontaire contraire à la règle du jeu, le jockey pouvant avoir des raisons de préserver sa monture. La Cour ajouta qu’il s’agissait d’un aléa que tout parieur devait assumer. C’est sur ce même fondement que la Cour d’appel d’Amiens le 28 juin 2012 avait confirmé le jugement du Tribunal d’instance de Senlis qui avait débouté le parieur, en jugeant que le parieur adhère sans réserve au règlement du PMU qui prévoit notamment la possibilité de distancement d’un cheval pour une faute commise par son jockey. Le parieur est informé que l’ordre d’arrivée n’est le résultat final qu’après un certain nombre de contrôles et la Cour en déduit que le parieur a accepté par avance cet aléa.
Pourtant en 1973, la Cour de cassation avait condamné le jockey qui pourtant s’était prévalu du même argument relatif au règlement du PMU qui informe le parieur de l’aléa du résultat. En réalité, depuis 40 ans, ce sont à la fois, les règles sur l’opposabilité des contrats et celles sur la responsabilité du jockey qui ont évolués. Les jockeys en leur qualité de préposé sont mieux protégés et notamment à l’égard des parieurs qui doivent accepter les risques de la compétition et la réglementation du PMU. Les parieurs apparemment convaincus ou dépités, n’ont en tout hypothèse pas contesté ces dernières décisions qui sont désormais définitives. On précisera que l’Association des Jockeys au Galop s’était constituée, pour défendre les intérêts de ses adhérents, pour intervenir devant le Tribunal de Grande Instance de Bayonne et devant la Cour d’Appel de Pau.
Historique
-
TI de St Nazaire, 19 mars 2014: cheval confié contre bons soins abattu
Publié le : 27/05/2014 27 mai mai 05 2014Actus du cabinet / Droit ÉquinUne propriétaire vend son cheval pour une somme modique contre bons soins, ce...
-
TGI de Foix, 5 mars 2014: la responsabilité du maréchal ferrant
Publié le : 27/05/2014 27 mai mai 05 2014Actus du cabinet / Droit ÉquinUn maréchal procède au ferrage d’une jument de compétition, laquelle se trouv...
-
La présomption d’antériorité du vice n’est plus applicable aux ventes ou échanges d’animaux domestiques !
Publié le : 28/04/2014 28 avril avr. 04 2014Actus du cabinet / Droit ÉquinLe 15 avril dernier, le Sénat a opéré un revirement en matière d’application...
-
L’hippodrome responsable à l’égard des jockeys, concurrents d’une course hippique.
Publié le : 11/10/2013 11 octobre oct. 10 2013Actus du cabinet / Droit ÉquinEn cas d’accident, l’hippodrome peut être déclaré responsable à l’égard d...
-
Présomption d’antériorité du défaut de conformité et vente de chevaux
Publié le : 01/10/2013 01 octobre oct. 10 2013Actus du cabinet / Droit ÉquinActus du cabinet / Droit civil (02)Le projet de loi relatif à la consommation adopté par le SENAT le 13 sept...
-
Les garanties de l’acheteur dans une vente aux enchères de chevaux
Publié le : 24/09/2013 24 septembre sept. 09 2013Actus du cabinet / Droit ÉquinQuelles sont les garanties dont bénéficient l’acquéreur d’un cheval lors d’un...
-
Le parieur peut-il faire condamner le jockey ?
Publié le : 11/09/2013 11 septembre sept. 09 2013Actus du cabinet / Droit ÉquinArticle paru dans PARIS TURF le samedi 7 septembre 2013 Le joc...
-
Droit équin : du nouveau en matière de garantie de conformité
Publié le : 27/03/2013 27 mars mars 03 2013Actus du cabinet / Droit ÉquinTGI de La rochelle, 21 novembre 2012, n°11/02835 Décision du T...
-
La responsabilité des accidents en compétition : et si Guerdat avait été grièvement blessé ?
Publié le : 19/03/2013 19 mars mars 03 2013Actus du cabinet / Droit ÉquinL’accident du champion olympique Steve Guerdat lors de la warm-up du jump...
-
CA GRENOBLE, 1er octobre 2012 : un cheval blessé en pension pré/box
Publié le : 31/01/2013 31 janvier janv. 01 2013Actus du cabinet / Droit ÉquinCet arrêt rendu par la Cour d’appel de GRENOBLE est assez surprenant. Il...
-
Cour d’appel de Nancy, 6 mars 2012, sur le "contrat d’exploitation avec mandat de vente"
Publié le : 25/10/2012 25 octobre oct. 10 2012Actus du cabinet / Droit ÉquinActus du cabinet / Droit civil (02)Pour la Cour d’appel de NANCY, le contrat d’exploitation d’un cheval avec man...
-
CA ANGERS 15 décembre 2011 : déboute un entraîneur driver, victime d’un dommage en course, à l’encontre du fabricant de la lice installée sur le champ de course
Publié le : 06/04/2012 06 avril avr. 04 2012Actus du cabinet / Droit ÉquinActus du cabinet / Préjudice CorporelUn entraîneur driver victime de dommages en courses, débouté de sa demand...
-
CA PARIS 28 mars 2011 : L’entraîneur driver, victime d’un dommage corporel, actionne en responsabilité une société de course, organisatrice.
Publié le : 28/03/2011 28 mars mars 03 2011Actus du cabinet / Droit ÉquinActus du cabinet / Droit civil (02)Actus du cabinet / Préjudice CorporelLe contentieux des accidents sportifs est fourni et récurent. La victime...
-
COUR DE CASSATION 4 novembre 2010 : la théorie de l’acceptation des risques dans le domaine sportif.
Publié le : 04/11/2010 04 novembre nov. 11 2010Actus du cabinet / Droit ÉquinL’arrêt de la Cour de Cassation du 4 novembre 2010 marque la fin de la th...
-
CA COLMAR 23 avril 2010 : Nullité de la vente d’un cheval sur le fondement de l’erreur.
Publié le : 23/04/2010 23 avril avr. 04 2010Actus du cabinet / Droit ÉquinL’acheteur déçu invoque régulièrement, à titre principal ou subsidiaire,...