Chute d'une cavalière : l'entraîneur responsable
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3 min.
Auteur : Blanche de GRANVILLIERS - LIPSKIND
Publié le :
19/01/2024
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L’arrêt rendu par la 2ème chambre civile de la Cour de cassation le 15 juin 2023 RG : 21-22.697 va rassurer les cavaliers victimes d’accident corporel, lorsque leur chute est causée par la faute d’un tiers, en l’espèce celle du préposé de l’entraîneur.
La cavalière souhaitant s'exercer avant la course hippique à laquelle elle devait participer en tant que participante à une course réservée aux étudiants, s'est présentée chez un entraîneur de chevaux de courses au galop, lequel en parfait « gentleman » lui avait fait préparer son cheval par son employé responsable, appelé « Premier garçon ». Ce dernier avait posé lui-même des bandages (bandes dites de polo) sur les jambes du cheval. Or, par des faits non contestés, au cours du galop, l’un des bandages s’était déroulé en plein galop (appelé canter), causant la chute du cheval et de l’infortunée cavalière atteinte de lourdes séquelles. Cette dernière intentait une procédure à l’encontre de l’entraîneur dont elle invoquait la responsabilité délictuelle, du fait de l’absence de contrat entre les parties, basée sur la faute de son préposé qui avait mal sécurisé les bandes puisque l’une d’elle s’était défaite, ce qui lui avait causé un dommage (article 1242-5 du Code civil).
Rappelons que chaque fois que le salarié commet un manquement dans le cadre de ses fonctions pour le compte de son employeur, depuis un arrêt rendu le 25 février 2000 par l’Assemblée Plénière, la Cour de Cassation a précisé que n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers, le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant. L’employé dispose d’une véritable immunité et il n’est pas responsable civilement de ses fautes à l’égard des tiers, (Cf Assemblée Plénière Cass 25/02/2000 arrêt n°97-17.387 Dalloz 2000 p.673,note Brun, JCP 2000 II n°10295 conclusions KESSOUS note Billiau, RTDC2000.582 Obs. JOURDAIN) De même il ne peut pas être gardien d’une chose comme cela a été rappelé dans notre commentaire précédent, les fonctions de préposé et de gardien étant incompatibles et c’est le commettant qui est considéré comme gardien à travers les ordres donnés à son employé . (Cf. Jugement du TJ de PARIS DU 13 Janvier 2022 : « lorsque le préposé a causé le dommage par l’intermédiaire d’une chose, la victime ne peut rechercher la responsabilité du commettant sur le fondement de l’article 1242, alinéa 5, du code civil dès lors que les qualités de préposé et de gardien sont incompatibles ; aussi, seule peut être invoquée la responsabilité du fait des choses. Dans la mesure où le véhicule monoplace est entré en contact avec le siège du dommage, alors qu’il était en mouvement, il est présumé en être la cause génératrice ») .
En revanche pour engager la responsabilité de l’employeur, il est nécessaire que cet employé ait commis une faute et ce en application de l’article 1242-5 du code civil qui dispose que : « les commettants sont responsables du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils sont employés ». Contrairement à la responsabilité des parents du fait de leurs enfants, où la faute de surveillance est présumée, Il faut donc prouver l’existence d’une faute personnelle et causale commise par le préposé.
Les arguments des parties : En défense l’entraîneur, indiquait avoir voulu rendre service à l’association qui lui avait demandé d'accueillir la cavalière en mettant à sa disposition un cheval pour qu’elle puisse s’entraîner en vue d’une compétition et que seule l’association devait assumer la responsabilité d’un accident. Cependant, l’association en question n’avait pas été mise en cause dans la procédure. Subsidiairement l’employeur prétendait que la cavalière était fautive car elle aurait dû vérifier elle-même la pose des bandages, argument qui peine à convaincre s’agissant d’une cavalière amateur, légitime à faire confiance à l’employé le plus qualifié de l’écurie.
Assez logiquement, le Tribunal retenait la responsabilité de l’entraîneur du fait de la faute de son employé, faute résultant du fait que le bandage n’aurait pas dû se défaire à l’occasion de l’exercice sportif. Une expertise médicale ayant précédé la procédure et fixé le préjudice corporel de la cavalière, le Tribunal entrait en voie de condamnation à l’encontre de l’entraîneur.
En appel, de manière plus que surprenante, le 16 septembre 2021, la Cour d’appel de Versailles décidait que l’entraîneur n’était pas responsable car aucune faute n’était véritablement démontrée à l’encontre de son employé : Une longue discussion s’était en effet engagée sur le point de savoir si les bandes auraient dû ou non être sécurisées par un dispositif d’attache. Or, la Cour d’appel retenait qu’il n’était pas démontré selon les usages et les caractéristiques techniques du produit (les bandages) que le préposé aurait dû mettre un dispositif d’attache supplémentaire (ruban adhésif ou scotch par exemple) autour du bandage, tandis que le bandage pouvait se défaire, selon la Cour d’appel, même en présence d’un ruban adhésif autour de la bande. 21
Cette décision paraissait critiquable et particulièrement sévère tant en droit qu’en équité pour la cavalière victime. Si l’on se réfère aux décisions rendues sur le fondement de la responsabilité contractuelle, la faute est caractérisée lorsque le matériel mis à la disposition du cavalier est défectueux. La faute qui est d’une manière générale difficile à caractériser pour les victimes d’accident corporel, à l’encontre des établissements sportifs, est cependant retenue en cas de défaillance du matériel comme l’a rappelé récemment la Cour d'Appel d'AIX EN PROVENCE le 09 février 2023. Or l’identité de la faute contractuelle et délictuelle est reconnue depuis plus de 15 ans par la Cour suprême et la solution a été réitérée le 13 janvier 2020 par l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation: les fautes contractuelle et délictuelle sont identiques. C’est pourquoi, le matériel défectueux permettait de considérer la faute du préposé comme pleinement constituée.
Le débat qui s’est engagé entre les parties sur le dispositif supplémentaire de sécurisation des bandes n’apparaissait pas véritablement pertinent. Ces bandages de polo se suffisent à elles-mêmes lorsqu’elles sont neuves et que le velcro est performant : or avec le temps et les lavages successifs, il se distend. Or le bandage qui ne tient pas et se déroule durant le galop est un incident classique, connu du personnel mais particulièrement redouté notamment au regard des conséquences (chute du cheval et du cavalier) ce que l’employé ne pouvait ignorer. C’est pourquoi, la négligence de l’employée était évidente, puisqu’il aurait dû en apposant le bandage constater qu’il ne tenait pas suffisamment et le sécuriser par du scotch, ou en mettant des bandes plus neuves ne comportant aucun risque. En équité, certes l’entraîneur avait rendu service à la jeune cavalière mais il se devait de mettre à sa disposition un cheval adapté à son niveau (ce qui était le cas) avec un matériel ne comportant aucun défaut susceptible de mettre en jeu sa sécurité.
La solution rendue par la Cour de cassation le 15 juin 2023 qui a cassé la décision est accueillie avec soulagement pour les victimes: Dans un arrêt très clair, elle juge que c’est à tort que la Cour d’appel a jugé de l’absence de faute, alors qu’elle a bien « constaté que le préposé avait fixé, sur les membres de l'équidé, des bandes de protection qui se sont spontanément détachées au cours de l'entraînement, de sorte que le préposé avait manqué à ses obligations professionnelles ».
Il était à craindre que la Cour Suprême ne se réfugie derrière l’appréciation souveraine des Juges du fond, même si l’appréciation de la faute est une question de droit soumise à la censure des hauts magistrats. Pour considérer la faute constituée, la Cour de cassation relève qu’aucun élément extérieur n’expliquait que le bandage se soit défait en plein galop : en l’espèce, le temps était sec, la piste ne présentait aucune particularité qui aurait pu expliquer l’incident. L’employeur n’offrait aucune explication. A contrario, les Juges laissent la porte ouverte à un fait justificatif, une cause extérieure ayant pu expliquer l’incident. A défaut l’employé qui était en outre le plus qualifié de l’écurie, aurait dû veiller à ce que le bandage ne présente pas de risque de se dérouler de même qu’il doit veiller à ce que l’étrier ne cède pas lors de l’exercice et que les rennes ne se cassent pas lorsque la cavalière dirige le cheval.
L’employeur avait-il le moyen d’échapper à sa responsabilité ? Seul moyen, prouver l’abus de fonction qui suppose de démontrer que son préposé a agi hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation, et à des fins étrangères à ses attributions (Cass. ass. plén., 19 mai 1988, n° 87-82.654). Ces conditions n’étaient manifestement pas réunies et l’employeur n’avait même pas cherché à s'exonérer en invoquant cet argument.
Pour conclure, les parties auraient été l’une comme l’autre bien inspirée de solliciter une expertise judiciaire laquelle aurait permis de produire des éléments probants sur les raisons de cet incident et la responsabilité ou non de l’entraîneur. Enfin, une procédure aurait pu être évitée en prenant la peine de vérifier que la jeune fille bénéficiait d’une garantie individuelle accident digne de ce nom ce qui aurait permis une indemnisation contractuelle suffisante.
Depuis les faits, des assurances sont proposées systématiquement à ces cavaliers qui veulent s’initier aux joies des courses hippiques. En disposant d’un minimum de garantie, les victimes n'ont pas à attendre les résultats d’une procédure interminable dont les résultats restent aléatoires. En l’état, la décision favorable à la victime parait devoir être approuvée.
A noter, depuis les faits, un stage obligatoire de deux jours est mis en place qui permet de vérifier que l’étudiant est physiquement apte à participer à une course hippique avec mise en situation.
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