Pensions impayées, quelles responsabilités et quels recours pour le professionnel ?

Publié le : 06/04/2021 06 avril avr. 04 2021

Comment réagir en cas de pensions impayées, quelles sont les obligations dont le professionnel reste tenu, comment peut-il restituer le cheval en préservant ses droits, quelles sont les avancées légales envisagées, voici quelques points qui seront abordés à travers l’examen d’un arrêt de la Cour d’appel de POITIERS.

Cet arrêt de la Cour d’appel de POITIERS du 19 février 2019 (RG n°17/01971)  sera perçu avec soulagement par les professionnels accueillant des équidés, victimes de propriétaires indélicats, qui négligent de régler les frais d’entretien de leur cheval.

Les faits : Un centre équestre et une propriétaire s’accordèrent sur la donation d’un cheval au Centre Equestre, en contrepartie d’une pension gratuite durant 3 ans pour un autre cheval appartenant à la propriétaire. Un peu avant l’expiration de la période de 3 ans, le professionnel pris la précaution d’avertir la propriétaire que si le cheval restait en pension dans son établissement, des frais lui seront facturés à hauteur de 150€ par mois. Le cheval ne fut pas récupéré par la propriétaire qui cependant ne régla pas les frais de pensions. 

Quelque temps plus tard, la propriétaire chercha à récupérer son cheval, mais le professionnel lui opposa un droit de rétention au regard des pensions impayées depuis plusieurs mois.

Le professionnel saisit un premier juge qui jugea légitime le droit de rétention opposé par le professionnel et qui condamna la propriétaire aux arriérés de pensions pour un montant total de 3150€. Le juge condamna également la propriétaire à payer les pensions à venir sur une base de 150€ par mois.

Malgré le jugement, la propriétaire persista dans son défaut de paiement des pensions. Le  professionnel mandata un huissier qui ne parvint à récupérer qu’une faible partie des pensions impayées. La situation s’enlisa jusqu’à ce que le cheval victime de coliques décéda sans que la propriétaire ne soit avertie ni de sa pathologie, ni des options chirurgicales possibles, ni même de la possibilité de réaliser une autopsie. La propriétaire déposa plainte pour mauvais traitement contre le professionnel (plainte qui sera classée sans suite) et saisit alors le juge pour réclamer une indemnisation du préjudice subi à la suite du décès de son cheval. 

Le premier jugement  

La propriétaire réclama des dommages et intérêts à l’encontre du professionnel considérant qu’il n’avait pas bien exécuté le contrat, le cheval n’ayant pas été bien soigné et le décès lui étant imputable. Le premier jugea sur la base de plusieurs éléments tels qu’une attestation d’une ancienne stagiaire, de photographies et de présomptions, que le manquement du professionnel était établi et le condamna à 3500 € de dommages et intérêts outre 2500 euros au titre des frais de procédure. Le professionnel interjeta appel de la décision. 

L’arrêt de la Cour d’appel 

Le professionnel reste tenu des obligations nées du dépôt salarié même s’il conserve le cheval au titre du droit de rétention

L’argument du professionnel consistait à plaider qu’il n’était plus tenu des obligations du dépositaire salarié, mais seulement des obligations d’un rétenteur puisqu’il détenait le cheval non pas en application du dépôt salarié, mais au titre du droit de rétention, faute pour la propriétaire d’avoir réglé les pensions. Il est exact que le non-paiement des pensions constitue une faute du propriétaire ce qui autorise le professionnel à considérer le contrat résilié et à demander en justice la condamnation sous astreinte à retirer le cheval, outre le paiement des pensions impayés. ( Cette thèse aussi séduisante qu’elle soit, n’a pas été admise par les Juges. Comme le jugement de première instance, la Cour jugea que celui qui fait valoir son droit de rétention reste tenu des obligations du dépositaire salarié lequel est tenu rigoureusement puisqu’il est présumé fautif en cas de dommage subi par le cheval et qu’il doit en application des articles 1927 et 1928 du Code civil, démontrer avoir apporté des soins appropriés à l’équidé pour s’exonérer.

La Cour rappelle que « le rétenteur comme le dépositaire ont l'obligation de conserver la chose, en l'espèce, héberger le cheval, pourvoir à ses besoins élémentaires, le soigner si nécessaire. »

Concernant le professionnel, la Cour releva :
 
  • Des manquements dans ses obligations de soins, d'alimentation du cheval
Elle confirma le jugement qui avait retenu que le cheval n’était pas sorti quotidiennement, qu’il n’était pas bien entretenu, ni correctement nourri. En outre ce cheval avait une fragilité particulière et il avait des difficultés à s’alimenter, ce qui rendait nécessaire des soins particuliers lesquels ne lui avaient pas été fournis. La Cour a considéré que le professionnel ne démontrait pas qu’il avait accordé des soins consciencieux et attentifs, adaptés à l’état de santé du cheval, preuve nécessaire pour renverser la présomption de faute dont il est tenu en application des articles 1927 et 1928 précités, l’article 1928 rappelant que l’appréciation de la responsabilité du gardien s’apprécie plus sévèrement s’il perçoit un salaire en contrepartie de la garde du cheval.  
  • Les manquements du professionnel dans son obligation d’information
L’arrêt admit certes que le professionnel était étranger à la maladie (coliques) dont il a été victime, néanmoins il n’avait pas respecté ses obligations en n’informant pas la propriétaire de la maladie. La propriétaire n’a pas pu décider ou non d’une intervention chirurgicale quand bien même le pronostic de survie du cheval n’était que de 30% et qu’il était peu probable qu’elle ait accepté le coût de l’intervention. Là encore, il est acquis que le professionnel doit rapidement informer le propriétaire, d’autant plus lorsqu’il existe un choix thérapeutique à prendre. Les juges ont admis à plusieurs reprises qu’en présence de maladies telles que des coliques avec un choix thérapeutique à prendre, le propriétaire doit être informé rapidement.  

La Cour légitima le droit de rétention du professionnel au regard des manquements de la propriétaire 
Il importe de rappeler que, condamnée aux termes d’un premier jugement définitif au paiement des frais de pensions, et malgré l’intervention d’un huissier, la propriétaire n’avait réglé que partiellement l’arriéré de pensions et elle persistait dans son défaut de paiement des factures. La Cour jugea que « en ne réglant pas l'arriéré, la propriétaire s'est privée de la possibilité de reprendre son cheval. Elle ne justifie pas non plus avoir veillé à payer la pension courante à compter de mars 2013 »

La Cour déduit de ces des manquements réciproques des parties, dont les obligations étaient interdépendantes, que la propriétaire devait être déboutée de sa demande d'indemnisation pour le préjudice lié aux défauts de soins du cheval. Toutefois le professionnel fut également débouté des frais d’autopsie et vétérinaires exposés (256€). 
Si le jugement qui avait condamné le professionnel à la somme totale de 6000 euros est réformé, il reste néanmoins tenu de frais (certes minimes) de procédures 

Que faut-il retenir de cet arrêt ?

Le droit de rétention dont bénéficie le professionnel à la fois sur le fondement du dépôt salarié (article 1948 du code civil) et d’un principe général figurant à l’article 2286 du code civil, reste une arme à double tranchant, à manier avec précaution. C’est notamment le cas lorsque les frais de pensions excèdent la valeur du cheval, ou bien lorsque le propriétaire ne le monte plus, ce qui ne l’incite guère à payer pour le récupérer. Les frais de pensions s’accumulent et le piège se referme sur le professionnel. En outre le propriétaire défaillant dans le paiement des pensions, en cas de dommage subi par son cheval, n’hésitera pas à agir en justice contre le gardien, comme la présente affaire le confirme. Le professionnel s’expose ainsi aux risques et aux aléas d’une procédure.

Comment réagir en cas de défaut de paiement des pensions ?

Lorsque le professionnel et le propriétaire ont cela en commun qu’ils ne souhaitent plus entretenir de relations contractuelles, il est moins risqué pour le professionnel de permettre au propriétaire de récupérer son cheval notamment si la valeur commerciale de l’équidé est faible. Cela n’interdit pas au professionnel d’introduire une procédure en paiement contre le propriétaire défaillant pour les frais antérieurs exposés. En restituant le cheval assorti d’un certificat de bonne santé, il n’aura plus la responsabilité du cheval et démontrera plus facilement son absence de faute  et les frais de pensions cesseront de s’accumuler. Pour sa part, le propriétaire récupérera son cheval qu’il mettra dans l’établissement de son choix, avec lequel il n’est pas en contentieux. 

Sur le projet de loi et la nouvelle procédure pour les « chevaux abandonnés »

La solution précédente suppose que le propriétaire n’ait pas disparu sans laisser d’adresse et qu’il accepte de récupérer son équidé, conditions qui ne sont pas toujours réunies. Beaucoup de professionnels malheureusement se retrouvent gardiens de chevaux que leurs propriétaires ont abandonné aux bons soins des professionnels. Or à l’heure actuelle, le professionnel ne peut disposer librement du cheval qui ne lui appartient pas ; il est donc contraint d’intenter une procédure à l’encontre du propriétaire pour l’obliger sous astreinte à récupérer son cheval, où à se voir autoriser à le vendre aux enchères. 

Dans le cadre du projet de loi en faveur du bien être animal débattu à l’assemblée le 26 janvier 2021, la députée en charge de la filière cheval à l’assemblée, Mme LEGUILLE BALLOY a défendu un amendement (article 7 du projet de loi) visant à remettre au goût du jour l’ancienne procédure devant le Président du Tribunal judiciaire qui s’intitulait « requête en chevaux abandonnés ». Sous réserve de justifier de mises en demeure sans réponse de la part du propriétaire, le professionnel peut se faire autoriser sur simple requête adressée au Juge, à vendre le cheval aux enchères ou à défaut d’enchères, à le confier à un tiers qui accepte d’en prendre la responsabilité s’il n’y a aucune enchère sur le cheval. Une requête est un simple courrier au Juge qui prend sa décision sans convoquer le propriétaire. Le professionnel n’a donc pas besoin de faire rédiger une assignation par un avocat ni de faire citer le propriétaire par huissier. L’initiative de la députée mérite d’être saluée et approuvée.  Toutefois les solutions pratiques doivent être bien pensées pour éviter d’une part une spoliation des droits du propriétaire, et d’autre part faciliter l’option visant à confier le cheval à un tiers aux lieu et place des ventes aux enchères qui restent une formalité lourde au coût élevé laquelle serait forcément aux frais avancés du professionnel. 

Blanche de Granvilliers 
Avocat Docteur en droit 
Membre du Bureau de l’Institut du droit Equin 

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