Le cheval victime d’un dommage lors d’un transport par le cavalier, Responsabilité et assurance.

Auteur : Blanche de GRANVILLIERS
Publié le : 12/02/2018 12 février févr. 02 2018

Les faits et la procédure.

L’arrêt de la Cour d’appel de VERSAILLES du 21 septembre 2017 est l’occasion de revenir sur les difficultés du contentieux du transport de chevaux, à la fois quant aux règles applicables et à la garantie des accidents par l’assureur. Rappelons brièvement les faits. Un cheval de concours de sauts d’obstacles a été mis par ses propriétaires en pension chez un cavalier professionnel en vue de son exploitation. Ce cheval a été blessé dans un accident de la circulation alors qu’il se trouvait dans le camion du cavalier conduit par sa salariée qui s’était assoupie au volant. L’expert judiciaire désigné à la demande des propriétaires, avait relevé que le cheval bien que guéri conservait des séquelles, notamment mentales de l’accident, et avait retenu une perte de valeur et des pertes de gains pour les propriétaires.

En première instance le Tribunal avait retenu à la fois la responsabilité du cavalier et celle de la salariée, le tout sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985. La garantie du Gan, assureur du cavalier, avait été retenue en totalité pour l’ensemble des dommages, sur la base de l’assurance du véhicule, au seul vu des déclaration de l’agent d’assurance qui reconnaissait la garantie du transport non rémunéré de chevaux. La compagnie d’assurance fit appel de la décision laquelle fut infirmée en totalité et à juste titre, même si l’argumentation de la Cour d’appel ne nous satisfait pas pleinement au vu des textes invoqués par la juridiction.


Sur la mise hors de cause de la salariée du cavalier professionnel

Au préalable, et à juste titre la Cour d’appel mit hors de cause la salariée, dès lors que « n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers, le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant ».(cf. CASS Assemblée Plénière 25/02/2000 arrêt n°97-17.387 Dalloz 2000 p.673, note Brun, JCP 2000 II n°10295 conclusions KESSOUS note Billiau, RTDC 2000, 582 Obs. JOURDAIN) Le préposé dispose d’une véritable immunité à l’égard de la victime qui ne peut donc plus agir contre lui. La responsabilité civile du préposé ne subsiste à l’égard de la victime que si le préposé a commis une infraction pénale volontaire et intentionnelle. (Cf. CASS Assemblée Plénière 14 décembre 2001 n°00-82.06 Bull Civ. 2001 n°17, JCP G 2002 II 1026 note Billiau ; Cf. CASS Crim 28/06/2005 n°04-84.281 Juris data n°2005-029667)

Sur l’inapplicabilité du contrat type transport d’animaux vivants.

Lorsque le cheval est confié à un transporteur professionnel, c’est le contrat type transport lequel vise le transport public routier d'animaux vivants (C. rur., art. D. 212-78, 22 juill. 2001; Ann. I) qui s’applique (Article L 133-1 et suivants du Code de commerce notamment). Ces textes instaurent une responsabilité de plein droit du transporteur contrebalancé par un plafond de réparation très faible (1600€ par cheval) sauf preuve d’une faute lourde intentionnelle ou inexcusable. Cependant l’accident de circulation dont le cheval est victime survient plus souvent lorsque le cheval est transporté par le professionnel qui l’a en garde et/ou au travail. C’était exactement le cas dans notre espèce, puisque le cheval avait été confié par les deux copropriétaires à un cavalier professionnel dans le cadre d’un contrat d’exploitation. Le cheval avait été blessé alors qu’il se trouvait dans le camion du professionnel conduit par sa salariée laquelle se rendait à un concours où le cheval devait participer. Le professionnel excipait d’une décharge de responsabilité au titre du transport du cheval, qu’il avait adressé par courrier à ses cocontractantes lesquelles ne lui avait cependant pas retourné signée.

Sur la responsabilité du cavalier professionnel, dépositaire salarié.

S’agissant de la responsabilité du professionnel, pour la Cour d’appel, la responsabilité du professionnel devait être retenue à un double titre : en application du « contrat de pension valorisation » dont la Cour précisa qu’il était assimilable à un contrat de dépôt, le professionnel ayant l’obligation d’en assurer la conservation en bon état en application des articles 1147 et 1933 ancien du Code civil. Ce premier point mérite qu’on s’y attarde : ce n’est pas la première fois que les juridictions jugent que la convention mêlant l’exploitation et la garde est analysée par les juges comme « assimilable » à un seul dépôt, sans s’interroger sur la cadre dans lequel le dommage intervient. La Cour d’appel de NANCY dans un arrêt du 6 mars 2012 (CA NANCY Numéro JurisData : 2012-018581) avait déjà jugé à propos d’un cheval qui s’était lui aussi grièvement blessé lors d’un transport, que le contrat d’exploitation d’un cheval avec mandat de vente est un contrat de dépôt salarié dès lors que la convention attribuait au cavalier les gains obtenus par le cheval en compétition.
En l’espèce, la Cour ne dit pas que le dépôt est un dépôt salarié qui seul fait peser une présomption de faute. A l’inverse, elle rappelle que la salariée a incontestablement commis une faute en s’endormant au volant. Il faut toutefois se méfier des interprétations a contrario. La qualification de dépôt salarié ou non devrait dépendre des conditions du contrat de valorisation et notamment si une rémunération est prévue pour le professionnel au titre des frais d’entretien du cheval.

Le cheval n’est pas une victime directe au sens de la loi sur les accidents de la circulation.

La Cour ajoute que la responsabilité du professionnel est également engagée en application de la loi du 5 juillet 1985 au motif que le véhicule est impliqué dans l’accident et qu’il est donc tenu du préjudice matériel imputable à cet accident et causé à un tiers. Nous ne partageons pas cette analyse. La loi du 5 juillet 1985 ne pouvait pas être invoquée par les propriétaires du cheval. Les victimes au sens de la loi du 5 juillet 1985 sont des personnes (Conducteur, passager ou autre) ; il ne peut s’agir que de personnes physiques. En droit et malgré sa qualification d’être sensible, le cheval reste un bien meuble. Le cheval ne peut donc pas être une victime directe et le propriétaire ne peut pas être victime par ricochet du dommage subi par son cheval en application de l’article 6 de la loi du 5 juillet 1985. (Cf. 19ème congrès de l’Institut du droit Equin LOI BADINTER (loi de 1985) et accidents de la circulation Louise LOUSSON, Gaëlle REYNAUD) Pour que le propriétaire d’un cheval transporté puisse agir sur le fondement de la loi de 1985 pour obtenir réparation du préjudice causé à son cheval, il est nécessaire que le propriétaire du cheval puisse être considéré comme une victime directe de l’accident, au sens de la loi de 1985. Les deux hypothèses uniques d’application de la loi du 5 juillet 1985, pour le propriétaire du cheval dans le cas d’un accident impliquant un autre véhicule terrestre, visent les cas où le propriétaire est le conducteur du véhicule qui transporte son cheval, ou encore lorsque le Propriétaire est passager du véhicule qui transporte son cheval. (Cf. Jugement TGI LISIEUX 23 février 1996 – JOURDIER C/MAUNY et arrêt CA CAEN 1ère Chambre Civile 08 septembre 1998) Dans tous les autres cas la loi spéciale n’a pas vocation à s’appliquer. Il n’est pas contesté qu’en l’espèce, les propriétaires ne voyageaient pas avec le cheval ni comme conductrice ni comme passagère. En outre le rapport contractuel avec le professionnel excluait de plus fort l’application la loi spéciale dite BADINTER.

Sur la garantie par l’assurance du cavalier.

Après avoir retenu la responsabilité du professionnel, la Cour s’interroge sur la garantie de son assureur et relève que le professionnel disposait de deux polices : une qui vise expressément le camion (véhicule à usage de transport de chevaux) mais dont les conditions générales (produites en appel par le GAN) excluent la garantie des marchandises transportées tandis que la police multi risque professionnelles en revanche garantit les équidés confiés au professionnel y compris pendant le transport. Toutefois la Cour fait droit à l’argument de l’assureur relatif au tableau des garanties qui limite l’indemnisation à 20.000€ par cheval. Le professionnel est donc condamné pour le surplus soit environ 60.000€ à indemniser ses anciennes clientes, étant précisé que la Cour d’appel réduit au passage le préjudice lié à la perte de valeur du cheval. La Cour d’appel juge également que faute de prouver leur lien affectif avec le cheval, les copropriétaires sont intégralement déboutées de leur demande au titre du préjudice moral l’animal étant considéré comme source de profits par ses propriétaires et non comme animal de compagnie. (Cf. notre article sur l’arrêt de la Cour de cassation 9/12/2015 sur le chien animal de compagnie irremplaçable au sens de la garantie de conformité)

Sur l’incertitude des règles applicables lors d’un transport de chevaux

Lorsque le cheval est victime lors d’un transport réalisé par un professionnel à qui il est confié, le régime de responsabilité applicable reste incertain au vu des décisions rendues. (Cf. Intervention G. FALLOURD le professionnel du cheval assurant des prestations de transports 19ème colloque de l’Institut du droit Equin). Obligation de moyen comme l’a jugé la Cour d’appel de CAEN le 17/2/1986, ou obligation de résultat comme en a décidé le TI la Roche sur Yon ARDOUIN C/ VIOLLEAU le 22/0/2001 ou encore obligation de moyen renforcée en tant qu’accessoire du dépôt salarié selon la Cour d’appel de NANCY le 6 mars 2012 (CA NANCY Numéro JurisData : 2012-018581. Quoi qu’il en soit le cavalier professionnel devra veiller soit à faire souscrire une décharge de responsabilité, soit à disposer d’une assurance le garantissant à hauteur des préjudices pouvant être mis à sa charge, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

Blanche de GRANVILLIERS
Avocat à la Cour

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