La responsabilité de l’entraîneur de chevaux (sport ou courses hippiques)
Publié le :
24/10/2017
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Selon le cadre juridique de l’accident, l’entraîneur sera tenu d’une obligation de moyens simple ou renforcée.
L’entraîneur est tenu de conserver, entraîner et restituer l’animal et sa responsabilité est donc susceptible d’être engagée notamment lorsque le cheval subira un dommage, ou que la qualité de son entraînement sera contestée.
Quel que soit le cadre juridique du dommage, l’entraîneur n’est tenu que d’une obligation de moyens. (Seule l’obligation de restitution proprement dite du cheval est qualifiée d’obligation de résultat, sachant que le contentieux se concentre sur la restitution en bon état qui elle relève des règles du dépôt ou du contrat d’entreprise.) Si cette première qualification d’obligation de moyens est de nature à rassurer le professionnel, la réalité est plus nuancée, dès lors que d’une obligation de moyens simple dans l’entraînement proprement dit du cheval, on bascule sur une obligation de moyens renforcée lorsque l’accident survient hors de la phase d’entraînement et que l’on se trouve dans le cadre du dépôt salarié.
Comme précisé ci-dessus, en application de l’article 1927 du code civil, le dépositaire doit apporter au cheval « les mêmes soins qu’il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent ». Toutefois l’article 1928 du code civil apporte immédiatement une nuance en précisant que la disposition de l'article précédent doit être appliquée avec plus de rigueur notamment « 2° s'il a stipulé un salaire pour la garde du dépôt ».
Or, depuis un arrêt rendu par la Cour de cassation le 10 janvier 2001 , le contrat de pension rémunéré de l’animal est qualifié de dépôt salarié. Le salaire convenu explique la rigueur du texte que la jurisprudence a analysé en un renversement de la charge de la preuve : si un dommage au cheval survient, le dépositaire doit démontrer que ce dommage est intervenu en dehors de toute faute de sa part. Toutefois dans cette appréciation de l’absence de faute, les juridictions se montrent sévères à l’égard du dépositaire et plusieurs juridictions ont jugé que pour prouver « qu’il n’a pas commis de faute dans la survenance du dommage », le dépositaire doit justifier « d’un cas précis de force majeure ou fortuit, circonstance qui doit être extérieure, imprévisible et irrésistible » . Autrement dit, pour établir son absence de faute, le dépositaire doit décrire précisément les circonstances et causes du dommage et démontrer qu’il a pris toutes les mesures et précautions nécessaires pour l’éviter, le dommage étant dû à un cas de force majeure ou fortuit. Aussi, dès lors que les circonstances ou la cause du décès restent indéterminées, une jurisprudence constante considère que le dépositaire ne rapporte pas la preuve de son absence de faute .
Le Tribunal de Grande Instance de Chartres jugeait, à l’occasion d’une jument décédée à la suite de blessures dans un pré, que « le dépositaire est présumé responsable de toute dégradation du bien confié à sa garde ».Ces termes, qui font référence à une présomption de responsabilité (et donc à une obligation de résultat) et pas seulement à une présomption de faute, obligent le professionnel à démontrer le cas fortuit, émanant de la victime ou d’un tiers, ou la force majeure. L’exploitant ne peut échapper à une condamnation en indiquant qu’il a prodigué aux chevaux de ses propriétaires les mêmes soins qu’aux siens, (l’article 1927 du code civil), puisque ce n’est que dans l’hypothèse où le dépôt n’est pas rémunéré que le dépositaire pourra s’exonérer en faisant cette démonstration. La Cour d’appel de Bordeaux l’a rappelé dans un arrêt du 9 juillet 2015 où elle a considéré que la somme versée mensuellement par le propriétaire (soit en moyenne 150€ par jument) correspondait davantage à un remboursement de frais qu’à une véritable pension, d’autant qu’aucun contrat ni facture n’était produit.
La responsabilité du dépositaire bien que le dépôt soit gratuit peut néanmoins être retenue comme l’a jugé la Cour d’appel de Caen concernant une jument du propriétaire mise dans un pré entouré de barbelés, après que le dépositaire n’ait pas réussi à établir qu’il plaçait lui aussi habituellement ses chevaux dans cet enclos.
Le moyen le plus sûr pour le dépositaire salarié de démontrer son absence de faute reste le décès ou la maladie du cheval (coliques par exemple). Dès lors qu’il a contacté le vétérinaire et informé le propriétaire dans un délai raisonnable, la jurisprudence considère que le dépositaire peut démontrer son absence de faute.
Dans le cadre de l’exploitation, l’entraîneur ou le cavalier professionnel est un prestataire de service qui n’est pas tenu d’obtenir un résultat mais qui doit seulement mettre en œuvre sa science et sa connaissance dans le but de rendre le cheval compétitif ou de le maintenir compétitif s’il succède à un autre exploitant. S’il souhaite engager la responsabilité du professionnel, le propriétaire devra démontrer les manquements dans les moyens utilisés par le professionnel pour parvenir au résultat recherché. Certains propriétaires ont cherché à faire condamner l’entraîneur pour faute, parfois avec succès, mais le plus souvent en vain. La Cour d’appel de Versailles le 11 décembre 2014 a par exemple rejeté les demandes d’un propriétaire à l’encontre de l’entraîneur qu’il estimait responsable du décès de son cheval, lequel lors d’une séance d’entraînement avait éjecté son jockey, s’était échappé avant de se blesser gravement. La Cour d’appel a rappelé que « l’entraîneur n’est tenu que d’une obligation de moyens d’assurer la sécurité du cheval lors des séances de travail, ce dernier étant comme tout animal et plus spécialement comme tout cheval monté, susceptible de réactions imprévisibles et non maîtrisables même par un cavalier confirmé. »
Dans le même sens, un propriétaire n’a pas eu gain de cause alors qu’il reprochait à un entraîneur la lésion à un tendon apparue sur la jambe de son cheval après la 3ème course de l’animal. La Cour d’appel d’Angers jugea le 8 avril 2008 que l’entraîneur n’était évidemment pas responsable de la survenance de la tendinite d’autant qu’il justifiait avoir immédiatement alerté à la fois le vétérinaire pour soigner le cheval et le propriétaire de l’existence de la lésion. La preuve du manquement à l’obligation de conservation et de sécurité de l’animal n’était pas rapportée et l’entraîneur justifiait avoir respecté son obligation d’information.
A l’inverse, la même Cour d’appel d’Angers avait, le 20 novembre 2005 , retenu la responsabilité d’un entraîneur à l’égard du propriétaire d’une jument victime d’escarres sur les antérieurs, à la suite de bandages trop serrés mis par le préposé de l’entraîneur, avant une course. La décision avait été précédée d’une expertise judiciaire confiée à un vétérinaire lequel, fournit au propriétaire la preuve de la faute de l’entraîneur. Enfin la Cour d’appel de CAEN 28 février 2017 N RG°15/01104 a retenu la responsabilité de l’entraîneur qui a administré à un cheval atteint de tendinite, un traitement douloureux (vésicatoire) ayant provoqué des brûlures sur les membres, sans produire le protocole vétérinaire de soins.
Le cavalier professionnel, exploitant un cheval de sport, doit lui aussi être consciencieux et exploiter le cheval en "bon père de famille" pour ne pas voir sa responsabilité engagée.
La Cour d'appel d'Angers le 20 septembre 2011 n’a pas donné gain de cause aux propriétaires d'une jument qui lors d'une compétition, avant d’entrer sur la piste, s'était retournée et blessée mortellement. Les propriétaires, qui recherchaient la responsabilité du cavalier, avaient reconnu l’existence du contrat d'exploitation et le droit pour le cavalier de sortir la jument en compétition. Les circonstances accidentelles du décès étant établies par plusieurs témoins présents sur le terrain de concours et aucune preuve d'une faute du cavalier n'étant démontrée, les propriétaires (qui reprochaient un défaut dans le harnachement) furent déboutés.
Une fois la responsabilité de l’entraîneur retenue, le propriétaire devra prouver l’existence du préjudice lié à cette faute. Cette démonstration ne sera pas toujours facile surtout lorsque le propriétaire ne pourra faire valoir qu’une perte de gains ou une perte de valeur du cheval qui constituent des pertes de chance, toujours difficiles à évaluer, même avec l’aide d’un rapport d’expertise (Cf. Arrêt CA CAEN 28 février 2017 N RG°15/01104).
La jurisprudence doit trancher l’épineuse question de l’articulation entre les deux régimes juridiques.
La qualification juridique est primordiale tant on connait l’incidence de la charge de la preuve sur la solution d’un litige. Le contrat de dépôt suppose que le cheval s’accidente en dehors de toute intervention humaine, c’est-à-dire qu’il se trouve au box, ou au pré. Dès lors que le cheval est sorti du box en vue de son entraînement, ou de son dressage, ou toute autre activité, en principe le contrat d’entreprise succède au dépôt. Dans l’arrêt précité de la Cour d’appel de Paris du 26 septembre 2014 , les juges ont pu considérer que le contrat d’entreprise était applicable, dès lors que c’est en se rendant à une compétition que le cheval s’est brisé les cervicales au moment de monter dans le camion.
Dans une autre décision toute récente, la Cour d’appel de Toulouse, le 27 février 2017 , a retenu que le dommage s’était produit dans le cadre du contrat d’entreprise, le cheval ayant été victime d'une chute dans le local de douche. Si l’on peut parfaitement admettre que dès lors que le cheval est tenu en main, il ne s’agit plus d’une simple obligation de surveillance puisque le cheval est soumis à une action humaine, la motivation de la Cour d’appel est en revanche critiquable. Elle retient, pour infirmer la décision des premiers juges qui avaient jugé l’entraîneur responsable en sa qualité de dépositaire, que « L'accident est survenu lors d'une phase de soins indissociable de la mission de pré-entraînement confiée à l'entraîneur, relevant comme telle du contrat d'entreprise liant celui-ci au propriétaire de l'animal, et non de sa mission accessoire de soins et d'hébergement s'analysant en un contrat de dépôt salarié ». Cette motivation qui fait référence à l’ancien critère de distinction d’accessoire-principal du contrat n’a plus cours depuis l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 3 juillet 2001 . On aurait préféré que la Cour d’appel retienne que le dommage s’était produit dans une phase d’entraînement pour en déduire que « l'entraîneur n’était tenu d'une simple obligation de moyens quant à la sécurité de l'animal ».
Il est clair que la distinction n’est pas toujours aisée (Quid par exemple si le cheval est tenu en main, donc soumis à une intervention humaine mais seulement pour aller d’un pré à un autre donc dans le seul cadre de la surveillance inhérente au dépôt ?). Si les problèmes de frontières se posent fatalement, il est acquis que ce critère doit être maintenu car il est le seul qui permette des solutions équitables tant pour l’entraîneur que le propriétaire.
Article issu d’un article rédigé conjointement avec Laurie Bessette et Claire BOBIN de l’institut du droit Equin et publié dans l’AJ Contrat DALLOZ Dossier Le CHEVAL et le CONTRAT Juillet 2017
Jurisprudence citée
[1] Cour de cassation 10 janvier 2001 Bull. civ I n°6 p.5.
[1] Voir par exemple Cour d’appel de Caen 6 mai 2000 ; Cour d’appel de Caen 10 mars 2009, Tribunal de grande instance de Mâcon 6 mars 2006 Bulletin JURIDEQUI IDE n°43 Septembre 2006.
[1] Voir notamment Cour d’appel de Caen 24 Mars 2015 ; Cour de cassation civ. 1 2 mars 2004 n° de pourvoi 01-11-120 confirmant l’arrêt de la Cour d’appel de Reims 7 mars 2001
[1] Tribunal de grande instance de Chartres 13 avril 2011
[1] Cour d’appel de Bordeaux 9 juillet 2015
[1] Cour d’appel de Caen 17 septembre 2002 Bulletin JURIDEQUI IDE n°27 Septembre 2002.
[1] Cour d’appel de Bourges 28 avril 2006 , Cour d’appel de Nîmes 20 mars 2014
[1] Articles 1710 et 1789 du code civil sur le contrat d’entreprise (le louage d’ouvrage et d’industrie).
[1] Cour d’appel de Versailles 11 décembre 2014
[1] Cour d’appel d’Angers 8 avril 2008 Bulletin JURIDEQUI IDE n°52 décembre 2008.
[1] Cour d’appel d’Angers 20 novembre 2005 Bulletin JURIDEQUI IDE n°41 Mars 2006.
[1] Cour d’appel de Paris Pôle 2 Chambre 2 26 septembre 2014 n°13/09151 Bulletin JURIDEQUI IDE n°77 mars 2015.
[1] Cour d’appel de Toulouse 17 février 2017
[1] Cour de cassation 1ère chambre civile 3 juillet 2001 pourvoi n°99-12.859 Guedj c/ Lhomet Bulletin JURIDEQUI IDE n°24 décembre 2001.
Blanche de GRANVILLIERS
Avocat à la Cour
Historique
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