COUR DE CASSATION 4 novembre 2010 : la théorie de l’acceptation des risques dans le domaine sportif.
Publié le :
04/11/2010
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L’arrêt de la Cour de Cassation du 4 novembre 2010 marque la fin de la théorie de l’acceptation des risques sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1er du Code Civil.
Commentaire de l’Arrêt de la Cour de Cassation Civile du 4 novembre 2010 :
Cet arrêt du 4 novembre 2010, constitue un important revirement de jurisprudence et un coup porté à la théorie de l’acceptation des risques, laquelle est systématiquement opposée à la victime, lorsque le dommage survient à l’occasion d’une activité sportive. En l’espèce, l’accident s’était produit lors d’une séance d’entraînement entre deux motocyclettes et l’un des concurrents fut blessé par le véhicule conduit par un autre concurrent. Statuant sur un 2ème pourvoi formé contre un arrêt rendu après une première cassation, la Cour de cassation y énonça dans un attendu de principe que « la victime d’un dommage causé par une chose peut invoquer la responsabilité résultant de l’article 1384 alinéa 1 du Code civil, à l’encontre du gardien de la chose instrument du dommage, sans que puisse lui être opposée son acceptation des risques. » La Cour de cassation aurait pu se contenter de rejeter la notion de l’acceptation des risques, dès lors que les conditions d’applications de celle-ci n’étaient en l’espèce pas réunies, notamment car le dommage s’était produit lors d’un entraînement et non lors d’une compétition. La généralité de la formule démontre que la théorie de l’acceptation des risques a été plus radicalement abandonnée par la Cour. Bien que cet arrêt ait été rendu sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1 du Code civil, sa solution est transposable à l’article 1385 du Code civil, qui vise la responsabilité du gardien de l’animal. (Cf. Jurisport 106 février 2011 p.35 obs Mr F. MARCHADIER : « l’orientation inédite prise par la Cour de cassation, devrait naturellement affecter l’article 1385 du Code civil »). En clair, l’acceptation des risques ne pourra plus être opposée à la victime qui pourra engager la responsabilité de gardien de l’animal, si le cheval a été l’instrument du dommage, à l’occasion d’un match de polo, ou de Horse ball, par exemple.
Il faut toutefois souligner qu’à ce jour, au vu de cette jurisprudence, l’abandon de la notion d’acceptation des risques n’est pas complet car la Cour de cassation a statué uniquement sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1 du Code civil. Si la solution est immédiatement transposable à l’article 1385 du Code civil, tel n’est pas le cas sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil, où il faudra encore prouver le comportement anormal du sportif, à l’origine du dommage.
Si le revirement est réel et même qualifié de spectaculaire (Cf. F MARCHARDIER précité p. 34), il ne surprend toutefois pas complètement. La théorie de l’acceptation des risques a été vivement critiquée en doctrine (Cf. Dalloz 2 déc. 2010 n°2772 note I. GALLMEISTER) et la jurisprudence écartait notamment celle-ci, chaque fois que le sportif avait été exposé à un dommage excédant les risques normaux de la compétition. Toutefois, certains observent avec justesse que la particularité de l’acceptation des risques, propre au domaine sportif « n’est pas dénuée de justification » (Cf. Jurisport 105 janvier 2011 à la une, note F.L.)
Ce revirement est sans conteste, le signe du déclin de la spécificité de la responsabilité civile dans le domaine du sport. Faut il s’en féliciter ? C’est un tout autre débat, dont la réponse pourrait varier selon que l’on se place du côté de la victime ou que l’on examine les intérêts des assureurs.
Texte de la décision :
Cour de cassation chambre civile 2 Audience publique du 4 novembre 2010 N° de pourvoi : 09-65947 Publié au bulletin Cassation M. Loriferne , président M. Grignon Dumoulin, conseiller apporteur M. Lautru, avocat général Me Ricard, SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Hémery et Thomas-Raquin, SCP Capron, avocat(s) REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur la déchéance partielle du pourvoi :
Vu l’article 978 du code de procédure civile ;
Attendu que M. X... s’est pourvu en cassation contre l’arrêt rendu le 17 mars 2008 par la cour d’appel de Paris ; que le mémoire ampliatif n’a pas été signifié au Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages ;
D’où il suit qu’il y a lieu de constater la déchéance partielle du pourvoi en tant qu’il est formé à l’encontre du Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages ;
Sur le moyen unique, pris en sa quatrième branche :
Vu l’article 1384, alinéa 1er, du code civil ;
Attendu que la victime d’un dommage causé par une chose peut invoquer la responsabilité résultant de l’article 1384, alinéa 1er, du code civil, à l’encontre du gardien de la chose, instrument du dommage, sans que puisse lui être opposée son acceptation des risques ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (2e Civ., 4 janvier 2006, Bull. 2006, II, n° 1) que M. X..., alors qu’il pilotait une motocyclette au cours d’une séance d’entraînement sur un circuit fermé, a été heurté par la motocyclette conduite par M. Y..., dont le moteur appartenait à la société Suzuki France et les autres éléments à la société Bug’Moto ; que, blessé, il a assigné M. Y..., la société Suzuki France, la société Bug’Moto, le GIAT Team 72, préparateur de la moto de M. Y..., en indemnisation, en présence de la caisse primaire d’assurance maladie de Paris et de la caisse régionale d’assurance maladie d’Ile-de-France, tiers payeurs ;
Attendu que pour débouter M. X... de ses demandes, l’arrêt retient que l’accident est survenu entre des concurrents à l’entraînement, évoluant sur un circuit fermé exclusivement dédié à l’activité sportive où les règles du code de la route ne s’appliquent pas, et qui avait pour but d’évaluer et d’améliorer les performances des coureurs ; que la participation à cet entraînement impliquait une acceptation des risques inhérents à une telle pratique sportive ;
Qu’en statuant ainsi, par des motifs inopérants, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CONSTATE la déchéance partielle du pourvoi, en ce qu’il est dirigé contre le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages ;
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 17 mars 2008, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles ;
Condamne M. Y... aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes de M. Y..., de la société Suzuki France et de la caisse primaire d’assurance maladie de Paris ; condamne M. Y... à payer à M. X... la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre novembre deux mille dix.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt.
Moyen produit par la SCP Capron, avocat aux Conseils, pour M. X....
Le pourvoi fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué D’AVOIR débouté M. Saïd X... de l’ensemble de ses demandes ;
AUX MOTIFS QUE « pour contester l’application de la théorie de l’acceptation des risques dont se prévaut M. Pascal Y..., Monsieur Saïd X... reprend certains arguments qu’il a développés pour prétendre à l’application de la loi du 5 juillet 1985, à savoir que l’accident est survenu hors compétition et après que la fin de l’entraînement ait été signalée. Toutefois, la seule attestation du 10 janvier 2007 de Monsieur Z... est insuffisante pour établir que l’entraînement avait pris fin lors de la collision alors que cet élément ne ressort pas de l’enquête de police réalisée à la suite de l’accident et la participation à un entraînement sur un circuit fermé où les règles du code de la route ne s’appliquent pas et qui a pour but d’évaluer et d’améliorer les performances des coureurs implique pour ces derniers, une acceptation des risques inhérentes à une telle pratique sportive. / Monsieur Saïd X... oppose également à Monsieur Pascal Y... des fautes de défaut de maîtrise de son véhicule, d’inattention, d’imprudence et de choix inadapté de sa trajectoire, fautes qui lui auraient fait courir des risques anormaux qu’il n’aurait donc pu accepter. / Cependant, la trajectoire empruntée par Monsieur Pascal Y... à la supposer inadaptée ou inhabituelle, ne peut en aucun cas être fautive en l’absence de règle imposant à un pilote de ne rouler que sur une partie de la piste, chaque coureur décidant en effet de la trajectoire qu’il estime propre à améliorer ses performances, et la collision survenue à environ 120 mètres, selon Monsieur Saïd X..., de la sortie du virage, ne démontre pas les fautes de défaut de maîtrise, d’inattention ou d’imprudence reprochées à Monsieur Pascal Y... alors que ce dernier, qui n’était soumis à aucune limitation de vitesse, roulait très vite a pu légitimement être surpris, même si les concurrents pilotaient des motocyclettes de cylindrées différentes et donc de puissances diverses, par la présence de Monsieur Saïd X..., poussant la motocyclette d’un autre coureur, à la vitesse anormalement réduite de 20 km/h, sur la partie droite de la piste, pourtant équipée d’un couloir permettant un retour aux stands en toute sécurité, et ne pas pouvoir éviter la collision. / Aucune faute n’est par conséquent établie à l’encontre de Monsieur Pascal Y... et l’acceptation par Monsieur Saïd X... des risques inhérents à l’entraînement entre concurrent fait obstacle à l’application de l’article 1384, alinéa 1, du code civil et exonère Monsieur Pascal Y... ainsi que toute personne dont la responsabilité est recherchée en qualité de gardien de la motocyclette conduite par celui-ci, de toute responsabilité. Monsieur Saïd X... sera par conséquent débouté de l’ensemble de ses demandes, de même que ses caisses de sécurité sociale, qui ne disposent que d’un recours subrogatoire et n’ont donc pas davantage de droits que la victime subrogeante » (cf., arrêt attaqué, p. 9 et 10) ;
ALORS QUE, de première part, la cause exonératoire de la responsabilité de plein droit du gardien tirée de l’acceptation des risques par la victime ne peut jouer que pour les dommages survenus à l’occasion d’une compétition sportive ; qu’en retenant que la participation à un simple entraînement impliquait une acceptation des risques inhérents à la pratique sportive exonérant M. Pascal Y... de sa responsabilité, la cour d’appel a violé les dispositions de l’article 1384, alinéa premier, du code civil ;
ALORS QUE, de deuxième part, la cause exonératoire de la responsabilité de plein droit du gardien tirée de l’acceptation des risques par la victime ne peut jouer que pour les dommages survenus à l’occasion d’une compétition sportive ; que M. Saïd X... faisait valoir, dans ses conclusions d’appel (cf., conclusions d’appel de l’exposant, p. 13), que le dommage avait eu lieu au cours d’une séance d’entraînement libre réunissant des amateurs et des professionnels et des motocyclettes de puissances différentes, circonstances exclusives de toute notion de concurrence entre les motocyclistes ; qu’en se bornant à affirmer que la pratique de la motocyclette sur un circuit fermé impliquait l’acceptation des risques exonérant M. Pascal Y... de sa responsabilité, sans se demander si ces circonstances n’étaient pas de nature à exclure cette acceptation, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l’article 1384, alinéa premier, du code civil ;
ALORS QUE, de troisième part, l’acceptation des risques s’entend des risques normalement prévisibles ; qu’en se bornant à relever que la conduite de M. Pascal A... n’était pas fautive et qu’il avait pu être légitimement surpris par la présence de M. Saïd X... poussant une autre motocyclette à une vitesse anormalement basse, sans se demander, comme elle y avait été invitée par M. Saïd X..., si le fait d’être heurté par une motocyclette dans ces circonstances, au cours d’un simple entraînement, ne constituait pas un risque anormal qui ne pouvait pas avoir été accepté, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l’article 1384, alinéa premier, du code civil ;
ALORS QU’enfin et en toute hypothèse, la responsabilité de plein droit du gardien est engagée dès lors qu’il est établi que la chose a été, en quelque manière et ne fût-ce que partiellement, l’instrument du dommage, sauf au gardien à prouver qu’il n’a fait que subir l’action d’une cause étrangère qu’il n’a pu ni prévoir ni empêcher ; qu’en retenant, pour débouter M. Saïd X... de ses demandes, que M. Saïd X..., victime, roulait à une vitesse anormalement basse, et que M. Pascal Y..., gardien, avait pu être légitimement surpris par sa présence sur la partie droite de la piste pourtant équipée d’un couloir permettant un retour aux stands en toute sécurité, quand ces circonstances ne caractérisaient pas un événement imprévisible et irrésistible, la cour d’appel a violé a violé, à ce titre également, les dispositions de l’article 1384, alinéa premier, du code civil.
Décision attaquée : Cour d’appel de Paris du 17 mars 2008 La victime d’un dommage causé par une chose peut invoquer la responsabilité résultant de l’article 1384, alinéa 1er, du code civil, à l’encontre du gardien de la chose, instrument du dommage, sans que puisse lui être opposée son acceptation des risques.
Précédents jurisprudentiels : A rapprocher :2e Civ., 22 mars 1995, pourvoi n° 93-14.051, Bull. 1995, II, n° 99 (cassation partielle), et l’arrêt cité ;2e Civ., 4 juillet 2002, pourvoi n° 00-20.686, Bull. 2002, II, n° 158 (cassation), et l’arrêt cité.
Textes appliqués :
article 1384, alinéa 1, du code civil
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